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Les aiguilles de la mémoire 2

Hol-hol, Hol-Hol, Holhol, hol hol hol hol... S'il n'est pas facile de deviner à quoi rêve un chat, le spécimen appelé Honegger, lui, rêva peut-être, dans son drôle de panier à félin, d'aïeux à la chasse. Holhol. Les viaducs de Holhol, çà et là orthographié Hol-Hol, supportaient le passage des convois d'un train de légende conçu par un Suisse, Alfred Ilg. Dans cette vaste région, qui s'étendait de l'Egypte des premiers pharaons jusqu'à la frontière kenyane actuelle, les ancêtres du minou Honegger intégrèrent la société des étranges bipèdes, seule espèce sujette à ce jour à une impulsion la poussant à aimer les chats, chatounes, minets et autres mistigris. Honegger ne souffrait d'aucun abandon. Sa maîtresse Jeanne tenait beaucoup à lui. Transbahuté dans son boîtier ajouré, Honegger s'apaisa peu à peu en route. Suivit le sentier des songes. Sa base de données embarquée de chat domestique l'aiguilla, sans doute, vers des courses de caracals. Vers des fauves pourchassés dans la grande balafre du Rift. Honegger se vit confronté soudain au péril de nomades tue-lions à l'ombre d'un volcan sacré. A des générations d'affût. A d'interminables pistes. Ses yeux, la journée, reflétaient cette longue histoire. Honegger avait hérité d'avancées silencieuses dans la nuit d'Ethiopie. En Nubie. En Erythrée. Jusqu'à des cités égyptiennes. Thèbes. Memphis. Boubastis. Lycopolis. Héliopolis. A Obock voire à Juba et Kassala. De vagues cousins sauvages hantaient toujours la région, par exemple dans le secteur d'Ali Sabieh. Quant à son petit nom d'Honegger, l'intéressé le devait à l'intérêt porté par sa propriétaire, influencée peut-être par son propre prénom, Jeanne, à la fois la Jeanne au bûcher de l'oratorio d'Arthur Honegger et la mystérieuse petite Jeanne de France dédicataire de La Prose du Transsibérien de Blaise Cendrars, aux oeuvres de l'éponyme du chat, le compositeur franco-suisse Arthur Honegger. Pour ne rien dire du Suisse né Frédéric Sauser. Circonstance aggravante, Honegger, l'homme, pas le chat, n'avait-il pas composé un mouvement symphonique intitulé Pacific 231 ? Dans cette pièce musicale, le compositeur rendit hommage à un modèle de locomotive à vapeur, la Pacific 231. Au début, selon mes souvenirs, et ma première audition de Pacific 231 date de la sixième primaire, lorsque notre instituteur Jean-Paul Forestier nous la fit écouter, en 1978, à Genève, quelques glissandi suraigus commis par les violons avec la complicité du chef d'orchestre restituent les bruits de la puissante machine au moment où elle commence à se mettre en branle. Le public peut dès lors entendre les sifflements de la vapeur qui s'échappe. Le monstre qui chuinte, sue, lâche des nuages et s'avance lentement n'a d'ailleurs jamais totalement disparu. Quand on joue à imiter le bruit d'un train, on fait encore "Tchou tchou". Rien d'étonnant, alors, au bruit Hol-Hol d'un convoi roulant sur un viaduc, du temps de l'ingénieur Ilg dans le nord-est du continent africain. Le nom même des "ouvrages d'art" de la ligne, Holhol, restitue un peu à la façon d'Arthur Honegger mais sans musique, oralement, ce hol hol hol hol généré par le roulement des wagons au-dessus de la tête des habitants. Le son a changé entre-temps. Au-dessous du pont de Dardagny, à deux pas de La Plaine, les trains produisent plutôt une sorte de eeh ! Autrefois, le hol hol retentissait, là-bas, si loin en Afrique.

Maints aïeux d'Honegger finirent en apothéose. En habits saints. Emmaillottés et inhumés avec les rites dévolus aux êtres humains qui les avaient adoptés. Un genre de roi Pausole, peut-être appelé David, aima s'entourer d'eux. Au pied de l'estrade jouèrent l'un ou l'autre ménestrel. Résonnèrent krar et massinko, les instruments des histoires d'amour. Et ce, tandis que le monarque caressait l'un de ses chats. La figure de Bastet, déité à tête de chat, marqua l'apogée des ancêtres d'Honegger en ces temps si anciens que des langues trouvèrent le temps de s'éteindre, parfois sans espoir d'être déchiffrées quelque jour. Ainsi, l'écriture méroétique pousse les archéologues à donner leur langue au chat.

 

Jeanne murmura quelque chose au-dessus d'Honegger. Pas exactement à son oreille, mais un peu plus à distance. Elle s'inclina, à cette fin. Quand retentit le cliquetis du verrouillage des portes, celle qui arborait une coiffure à la Jeanne d'Arc se redressa. Elle recomposa son personnage de femme sérieuse en voyage. Cessa de jouer la maîtresse de chat susurrant on ne sait quoi à son cher quadrupède. Epousseta ses habits. Honegger, qui connaissait la musique, se rencogna dans ses rêves de minou.

 



27/05/2018
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